• Des alternatives crédibles au capitalisme mondialisé

    François Houtart


    Avant de parler d'alternatives, il faut disposer de bonnes analyses sur la mondialisation contemporaine de l'économie capitaliste. Cette dernière est, en effet, bien plus que le fruit de la technologie, comme on la présente souvent pour en souligner le caractère inéluctable. Elle s'inscrit, en fait, à l'intérieur d'un processus de recomposition de l'accumulation du capital, connue sous le nom de Consensus de Washington».

    Cette nouvelle phase se caractérise sur le plan du mécanisme, par l'intégration mondiale des diverses étapes de la production et de la distribution en des lieux géographiques différents, surtout grâce aux nouvelles techniques de la communication et de l'informatique [Robert Reich, 1993]. Cela a fait de la mondialisation, comme l'écrit Michel Beaud [GEMDEV, 1999, 11], un mouvement organique englobant. Elle débouche sur une gigantesque concentration du pouvoir économique, de même que sur l'accroissement de la «bulle financière», facilité par l'abandon de l'étalon-or.

    Quant à sa fonction, il s'agissait de renforcer la part du capital privé dans les ressources produites, par rapport à celles du travail et de l'État, suite à plus de trente ans de politique keynésienne (ou fordiste) dans les sociétés occidentales et de la poursuite d'un développement national et populiste dans la majorité des pays du Sud. La baisse de la productivité dans le premier cas et le coût des transferts de technologie et de know how dans le second, furent des facteurs décisifs dans le changement d'orientation.

    Certes, cette politique permit de maintenir une croissance économique importante, mais néanmoins fragile, comme en témoignèrent les diverses crises. Elle encouragea aussi un développement technologique considérable. Mais elle a également débouché sur le renforcement du pouvoir d'une minorité dans le monde, avec un faible effet d'entraînement sur les couches sociales intermédiaires et le rejet de millions d'êtres humains dans la pauvreté ou l'extrême pauvreté. En effet, pour accroître sa possibilité d'accumuler, face à une productivité décroissante des secteurs socialement développés de l'économie, le capital a mené une offensive contre les autres bénéficiaires du produit social, le travail et l'État, avec les conséquences sociales que l'on connaît, surtout dans le Sud. Il ne s'agit donc pas de n'importe quelle mondialisation.

    Une des bases idéologiques du système économique capitaliste est d'affirmer et de faire croire qu'il n'y a pas d'alternatives, qu'il faut pousser la libéralisation plus avant afin de pouvoir résoudre les problèmes en suspens et que le marché est le véritable régulateur de la société. Les plus ouverts parmi ses partisans diront, dans la ligne des néo-classiques, qu'il faut veiller à rétablir les lois de la concurrence pour combattre les monopoles. Certains ajouteront même que d'importants secteurs de l'activité humaine appartiennent au non-marchand et qu'un minimum d'État est indispensable pour fonder efficacement le cadre légal du marché, assurer les tâches d'éducation et de santé, réaliser les infrastructures collectives et garantir l'ordre public. Enfin, face à l'inquiétant taux de misère, tous sont d'accord pour mettre sur pied des programmes de lutte contre la pauvreté et mobiliser les organisations volontaires, notamment religieuses, pour y remédier.

    Mais ce qui n'est pas reconnu dans ces milieux, reste le fait que le marché est un rapport social qui, dans le cadre du système économique existant, construit les inégalités et les requiert pour pouvoir se reproduire. Cela appartient à sa propre logique: la concurrence, la compétition, le meilleur (le plus fort) gagne, maximiser le profit, réduire les coûts de production, flexibiliser le travail, privatiser... Dans une telle perspective, le rapport social entre partenaires tend nécessairement à l'inégalité, principalement le rapport capital/travail. Plus encore, le rapport mercantile tend à devenir la norme de l'ensemble des activités collectives de l'humanité, depuis l'éducation et la santé, jusqu'à la sécurité sociale, les pensions, les services publics, les prisons...

    Alors, comment aborder les alternatives?

    I. La question théorique des alternatives

    La question fondamentale est de savoir s'il existe réellement des alternatives au système économique actuel, qui, de fait, domine l'ensemble de la planète, y compris certains pays socialistes en transition vers le marché. Ne serait-ce pas une objection valable de dire, dans la foulée d'Adam Smith, que le capitalisme prend l'être humain tel qu'il est, alors que les alternatives l'envisagent tel qu'on voudrait qu'il soit ? En d'autres mots, les alternatives ne seraient-elles pas, au vu des expériences récentes, des utopies?

    En effet, l'histoire du bloc soviétique semble, pour beaucoup, fournir la preuve de l'échec des solutions de rechange. Le socialisme réel n'est plus une référence crédible. D'où le vide idéologique, laissant la place à la «pensée unique». Encore, commence-t-on seulement maintenant à étudier les multiples raisons internes et externes qui ont provoqué la chute des régimes de l'Est [Eric J. Hobsbawn, 1999, 483-517]. Par ailleurs, la création destructrice , caractérisant le capitalisme, prend des dimensions planétaires et les contradictions qu'elle entraîne sur les plans écologiques et sociaux, deviennent de plus en plus insupportables, au sens littéral du mot. Les résistances se multiplient dans des milieux divers, sur de nombreux plans et dans le monde entier, à la recherche d'alternatives. Personne ne croit, cependant, qu'un changement puisse se produire dans un laps de temps court, par une simple révolution politique. L'échec du socialisme réel aura au moins fait prendre conscience du fait que toute transition est un processus de longue haleine.

    Il est évidemment trop tôt pour faire une synthèse des propositions alternatives, autant dans l'ordre de la pensée que dans celui des pratiques. La fascination du marché est omniprésente. Il suffit de jeter un regard sur la Chine ou sur le Vietnam pour constater que ce dernier est devenu l'objet de la dernière consigne du parti communiste et que l'intégration dans la mondialisation est présentée comme un objectif national. Même si dans ces pays certaines solutions originales sont trouvées pour concilier marché et socialisme, l'intégration de ces perspectives dans le projet politique est submergée par la logique du capitalisme, qui ne laisse guère de marges de manoeuvre. Cependant, face à l'option néo-libérale, deux courants d'alternatives se présentent aujourd'hui: le néo-keynésianisme et le post-capitalisme.

    1. Le néo-keynésianisme

    Cette orientation prône, dans son modèle théorique, l'acceptation de la logique du marché comme moteur de l'économie, mais à condition de réguler le système, de limiter ses effets pervers et d'empêcher qu'il ne débouche sur des abus. Cela semble, pour beaucoup, une solution raisonnable et réaliste.

    Le modèle de référence est, en l'occurrence, celui de la société européenne d'après la seconde guerre mondiale, avec ses pactes sociaux entre le capital et le travail, l'État servant de garant et d'arbitre de la répartition des richesses. Dans une certaine mesure, ce fut aussi dans le Sud, la caractéristique du modèle de Bandoung, selon l'expression de Samir Amin, c'est-à-dire un projet de développement national et populiste formulé par les pays récemment indépendants d'Asie et d'Afrique, tout comme par l'Amérique latine (desarrollismo). Dans ces régions, l'alliance entre une bourgeoisie émergente et le secteur organisé des travailleurs de l'économie formelle, se noua autour d'un projet de développement par substitution des importations.

    L'idée consiste donc à appliquer, à l'échelle mondiale, les principes du keynésianisme et donc de réguler le système économique capitaliste. Après l'ultra-libéralisme qui conduisit à la dérégulation des marché, des flux financiers et de l'organisation du travail et qui engendra les programmes d'ajustement structurel, détricotant les fonctions de l'État, le pendule entame sa trajectoire inverse. Il s'agit de rétablir les conditions de la concurrence, tout en essayant parallèlement de réduire la destruction de l'environnement et les injustices sociales. Comme aujourd'hui le problème ne se pose plus seulement au niveau des États, il faut trouver les moyens d'une régulation mondiale et donc construire à cet effet des instruments adéquats. Selon le neo-keynésianisme, c'est à ce niveau que se pose le problème des alternatives.

    Ce courant connaît de nombreuses variantes, selon que les protagonistes mettent l'accent sur des régulations dont le but est de sauver le capitalisme, ou sur l'établissement de balises destinés, à la fois à respecter un principe de précaution (écologie) et à sauvegarder des droits élémentaires (les travailleurs, la souveraineté des États...). Dans la première catégorie on peut situer certains porte-paroles du Forum international de l'Économie, qui tient ses assises annuelles à Davos ou encore George Soros, génial spéculateur et philosophe de l'économie, sans oublier certains dirigeants de la Banque mondiale et du FMI. Dans le deuxième volet, l'éventail est également large, depuis la Troisième voie de Tony Blair et de Bill Clinton, très proches tout compte fait, de la première orientation, jusqu'à la social-démocratie ou la démocratie chrétienne, qui toutes les deux prônent une «économie sociale de marché».

    Ce qui caractérise l'ensemble de ces diverses positions, c'est qu'elles ne remettent pas en question la logique du capitalisme, mais qu'elles essayent de remédier à ses abus et à ses excès. Le capitalisme sauvage est rejeté, soit parce qu'il met en danger le système lui-même, soit parce que ses coûts écologiques et sociaux sont trop élevés. Dans le premier cas, on se base sur une éthique interne au système: les règles du jeu doivent être respectées, mais pour mieux le faire fonctionner. Dans le second, le jugement, plus ou moins sévère, porte sur les effets pervers du système, attribués surtout aux comportements des agents économiques, qu'il faut pouvoir encadrer dans des normes et mieux contrôler. L'éthique consiste alors à faire appel à la conscience des acteurs en présence et à établir un cadre normatif pour le fonctionnement de l'économie. La doctrine sociale de l'Église se situe nettement dans cette ligne.

    2. Le post-capitalisme

    Ici, on envisage l'organisation de l'économie sur d'autres bases que celle du capitalisme, ou de ce que l'on appelle aujourd'hui, pour faire plus civilisé, l'économie de marché (selon Milton Friedman, prix Nobel d'économie, il s'agit bien de la même chose). C'est donc la logique même du capitalisme qui est remise en question, c'est-à-dire une économie centrée sur elle-même ou une activité capable de générer un maximum de profits se traduisant en accumulation, source de l'activité productrice et donc de la croissance. A cela, le post-capitalisme oppose une définition différente de l'économie: il s'agit d'une activité permettant d'assurer les bases matérielles du bien-être physique et culturel de l'ensemble des êtres humains.

    Alors que la première définition met en valeur l'effort des individus, dont, dans cette vision des choses, la somme constitue la société, la seconde souligne le fait que l'économie est une construction collective et rappelle que le marché est un rapport social. Il s'agit alors d'une critique plus fondamentale que la position néo-keynésienne et qui débouche inévitablement sur des propositions d'alternatives plus radicales. Cela mérite un examen plus approfondi, avant d'aborder la question de la crédibilité.

    Certes, parmi les protagonistes du post-capitalisme, il y a bien des divergences. On y retrouve une gauche révolutionnaire qui estime que la prise de pouvoir est la clé d'un changement rapide et radical. On y croise aussi ceux que l'on qualifie curieusement de «conservateurs» et qui, dans les pays ex-socialistes ou encore officiellement socialistes, prônent un retour aux solutions soviétiques, voire au stalinisme, dans un effort de conjurer ou d'éviter le chaos mafieux du marché débridé, tel qu'on l'expérimente aujourd'hui, par exemple en Russie. La majorité des autres, cependant, admettent l'idée que la transition vers un modèle alternatif d'économie est un processus de longue haleine.

    Un sérieux effort théorique est entamé aujourd'hui. Il réunit, dans un dialogue autrefois impensable, des penseurs marxistes de divers tendances et des intellectuels de gauche d'origines différentes, libres penseurs ou croyants. La recherche théorique en est certes encore à ses débuts, mais elle est bien entamée, comme le prouvent des événements tels que la célébration, à Paris, du 150e anniversaire du Manifeste du parti communiste et qui réunit quelques 1 500 intellectuels des cinq continents ou l'existence de plusieurs revues abordant ce thème.

    Il n'est évidemment guère possible de signaler l'ensemble des perspectives envisagées. A ce sujet, l'apport de Lucien Sève dans son ouvrage : Commencer par les fins, est important. Il y analyse sans concessions les échecs du socialisme réel, mais il plaide aussi pour une réflexion théorique qui ne fasse pas simplement fi du passé et qui permette de poursuivre une démarche intellectuelle, osant affronter le capitalisme dans une perspective radicale: «Dépasser le capitalisme reste au sens le plus propre et le plus fort du mot une révolution, c'est à dire un radical ‘renversement' de l'ordre existant» [Lucien Sève, 1999,97]. Il insiste sur le besoin de la réflexion théorique pour l'action.

    Certains diront qu'il s'agit d'une utopie. En réponse, les protagonistes de ce projet les prennent au mot, mais donnent au terme un sens différent, celui que Paul Ricoeur appelle l'utopie nécessaire, c'est-à-dire un objectif non précisé dans le temps, mais qui synthétise les aspirations collectives. A cette condition, utopie n'est pas synonyme d'irréalisable. Mais la théorie ne peut s'arrêter là. Elle doit aussi se pencher sur les données de l'analyse sociale et économique, permettant ainsi de rendre compte des expériences du passé et d'apprécier les multiples résistances au système capitaliste qui se manifestent aujourd'hui. En effet, ces dernières ne sont pas toutes anti-systémiques, ni nécessairement aptes à formuler des hypothèses d'actions alternatives, ce qui rappelle le besoin de critères de jugement.

    Pour qu'une alternative concrète soit crédible, il ne suffit pas qu'elle fonctionne. Il faut qu'elle s'inscrive dans un ensemble plus vaste et qu'elle forme un des éléments de la construction de l'objectif ultime. Sans quoi, elle peut se transformer rapidement en un des éléments du système existant, ce dernier possédant une énorme faculté d'adaptation et d'absorption. D'où l'importance de la théorie pour la construction des alternatives.

    Il est donc bien clair que, pour ce courant, les alternatives se situent dans le dépassement du capitalisme et non dans son simple aménagement. Une telle démarche implique aussi un jugement éthique. Comme nous l'avons déjà dit, les partisans du néo-libéralisme mettent en exergue, d'une part l'encouragement de l'initiative individuelle qu'ils estiment être valorisante pour la personne humaine et de l'autre, la convergence des intérêts contradictoires qui s'annulent dans le marché, ce qui confirme le caractère autorégulateur de ce dernier. Certains vont même plus loin, comme Michael Novak, qui, aux États-Unis, défend l'idée que le capitalisme est la forme d'organisation de l'économie la plus proche de l'évangile, car elle allie respect de la personne et bien commun ou encore Michel Camdessus, l'ancien directeur du FMI, qui déclarait une semaine avant sa démission, lors d'un symposium de Pax Romana à Washington, que le FMI formait un des éléments de la construction du Royaume de Dieu.

    La nécessité de dépasser le capitalisme suppose donc un préalable éthique à la recherche des alternatives. C'est dans la mesure où l'on peut aussi le délégitimer qu'il est possible de mobiliser une opinion publique et de faire converger des actions. Or, dans la perspective post-capitaliste, cette démarche va plus loin qu'une simple condamnation des abus. Pour se reproduire à long terme, tout système et notamment le système capitaliste, a besoin d'instances critiques lui permettant de corriger ses dysfonctionnements. Voilà pourquoi des réactions, même radicales, ne remettant pas en cause les bases théoriques de sa construction, finissent par lui être utiles.

    La délégitimation proposée par le post-capitalisme, avant d'être morale, s'appuie sur l'incapacité du capitalisme à répondre aux exigences minimales de l'économie, définie comme un rouage de l'ensemble social, devant assurer la sécurité matérielle de tous les individus et de tous les peuples. C'est ce que la répartition des revenus dans le monde, exprimée par le graphique du PNUD, en forme de coupe de champagne, indique très clairement. Karl Polanyi, économiste américain d'origine hongroise, l'avait bien compris lorsqu'il expliquait que le capitalisme avait désenclavé l'économie de la société et en avait fait un «en soi». Qui plus est, il faut ajouter que le capitalisme tend à imposer ses lois à l'ensemble des activités collectives de l'humanité. Le projet à long terme est donc de réenclaver l'économie dans la société et, pour cette raison, ce même auteur, n'hésite pas à proclamer la supériorité morale du socialisme sur le capitalisme [Karl Polanyi, 1995].

    Pour le courant post-capitaliste, la réaction éthique face aux abus s'inscrit donc dans une vision plus globale, car ces derniers ne sont pas de simples accidents de parcours ou le résultat de perversions individuelles. L'analyse post-capitaliste les estime co-naturels au système, ce qui est facilement confirmé par le fait que les mêmes agents économiques du «capitalisme civilisé», y compris ceux du capitalisme dit «rhénan» sont, dans le Sud ou dans l'Est européen, les promoteurs du «capitalisme sauvage». La maximisation du profit ou la loi de la concurrence ne connaissent de limites que dans le cadre d'un rapport de forces. C'est dans la mesure où le capitalisme rencontre des résistances organisées qu'il cède du terrain, mais non sans utiliser la répression, la force, les dictatures politiques ou même la guerre, pour défendre ses intérêts.

    C'est dans cette perspective, qu'il s'agit de construire une autre mondialisation, celle des résistances et des luttes [F. Houtart et F. Polet, 1999]. Car, face à la «globalisation» du capital, on trouve une fragmentation des mouvements populaires ou des organisations de défenses de droits divers, parcellisation due à la diversité géographique et sectorielle. Seule une convergence permettra de construire une force nouvelle. Malgré ses imperfections, l'action contre l'OMC entreprise à Seattle, en est une amorce importante.

    Les progrès technologiques et les questions écologiques ont aussi leur place dans la vision post-capitaliste. Les premiers n'apparaissent pas comme un but en soi, encore moins comme un moyen de maximiser le profit, mais comme un moyen d'améliorer le sort des êtres humains sur l'ensemble de la planète. D'où la prise en compte des conditions sociales du développement des technologies (les coûts humains), de leur fonction dans le système économique (supprimer l'emploi ou bien améliorer des conditions de travail), de la répartition de leurs apports dans les sociétés (réservées à une minorité ou réparties pour tous), du caractère éthique de leur application (bio-technologie) et de leurs conséquences sur l'environnement naturel (CO2, etc. ). Quant aux facteurs écologiques, ils font l'objet d'une attention particulière, car si Marx avait déjà dit, il y a un siècle et demi, que le capitalisme détruisait les deux sources de sa propre richesse, la nature et les êtres humains, les régimes socialistes n'avaient guère été attentifs aux exigences de l'écologie. Plus que jamais, diront les partisans d'une solution post-capitaliste, le principe de précaution exige que l'utilisation de la nature échappe à la logique de la marchandise et s'inscrive dans un cadre qui aujourd'hui ne peut être que mondial.

    Enfin, comme le marché est un rapport social, dans bien des cas, c'est le droit du plus fort qui s'impose. Dans la conjoncture actuelle, même si le pôle central du capitalisme se trouve réparti entre les trois éléments d'une triade comprenant les États-Unis, l'Europe et le Japon, qui, ensemble, jouissent de nombreux monopoles économiques, scientifiques et stratégiques, la force militaire garantissant le système se trouve entre les mains des États-Unis. Thomas Friedman, conseiller de la secrétaire d'État, Madeleine Albright, écrivait dans le New York Times Magazine du 28 mars 1999, un article intitulé : «Pour que la mondialisation fonctionne, l'Amérique ne doit pas craindre d'agir comme la superpuissance invincible qu'elle est en réalité». Il ajoutait : «La main invisible du marché ne fonctionnera jamais sans un poing invisible. McDonald's ne peut s'étendre sans McDonnel Douglas, le fabriquant du F-15. Et le poing invisible qui assure la sécurité mondiale des technologies de la Silicon Valley, s'appelle l'armée, la force aérienne, la force navale et le corps des marines des États-Unis»[Thomas Friedman, 1999, 61]. Une telle déclaration avait au moins le mérite de la franchise.


    L'opposition à l'hégémonisme américain s'inscrit dans cette perspective et la contestation de l'OTAN, qui en est une expression majeure, n'a pas d'autres raisons [Samir Amin, 1999]. Elle s'est manifestée à l'occasion de la guerre du Kosovo, comme fruit d'une analyse qui va au-delà de l'immédiat et qui s'inscrit dans la perspective globale du post-capitalisme. Le début de l'institutionalisation de la défense européenne qui suivit cette guerre, manifesta une certaine conscience des contradictions existant au sein même de la triade et elle indique aussi la possibilité d'une alternative.

    II. Les alternatives concrètes

    Les deux projets dont nous venons de parler proposent chacun des alternatives. Le premier, d'orientation néo-keynésienne, le fait dans le but d'humaniser le capitalisme et le second, le post-capitaliste, pour le dépasser. Le concept d'alternative est donc ambivalent, soit qu'il s'agisse d'alternatives se situant à l'intérieur de l'économie capitaliste, soit que l'on prône une alternative au système capitaliste. Tous les deux formulent une pensée théorique, construisent une éthique, alimentent des résistances et proposent des étapes concrètes. Sur bien des points politiques ils se rencontrent, prônant certaines régulations, comme celle des flux financiers internationaux, par exemple, mais la philosophie de base est très différente. Il ne faut pas s'y tromper. De nombreux facteurs d'ordre social et même culturel, jouent pour les départager.

    Par ailleurs, des deux côtés, on parle aujourd'hui d'alternatives (au pluriel), mais dans des sens également distincts. Pour les uns, il n'y a plus d'objectifs globaux, ces derniers présentant un risque de retour à une autre «pensée unique», mais il existe, par contre, un ensemble de solutions concrètes permettant de présenter des alternatives crédibles à la situation contemporaine, reconnue comme insoutenable. C'est la conception qui se rapproche le plus des positions néo-keynésiennes. Pour les autres, les alternatives concrètes ne sont crédibles que dans la mesure où elles s'inscrivent dans un remplacement progressif du système capitaliste, c'est-à-dire comme des étapes dans une transition inévitablement longue. Après tout, n'a-t-il pas fallu plus de quatre siècles au capitalisme pour construire les bases matérielles de sa reproduction (l'industrialisation et la division du travail)? Il est donc normal qu'un autre mode de production prenne aussi du temps pour se construire. «Le problème du socialisme, disait Maurice Godelier, c'est qu'il a dû apprendre à marcher avec les jambes du capitalisme». La nouvelle révolution technologique pourrait aider à transformer les choses, mais évidemment, cela ne se fera pas automatiquement.

    Avant de proposer les champs concrets dans lesquels des alternatives crédibles sont présentées aujourd'hui, rappelons trois choses. La première est que les alternatives, qui sont le fruit des acteurs sociaux, ne peuvent surgir que de la délégitimation de la situation existante, c'est-à-dire le capitalisme réel. Cette étape est indispensable. En d'autres termes, il faut détruire l'idée qu'il n'y a pas d'alternatives. En effet, dans la mesure où une telle conviction reste prévalente, aucune autre solution ne sera crédible et les jeux seront faits d'avance. D'où l'importance du rôle des instances morales, à la fois pour ceux qui veulent réguler le système économique existant et pour ceux qui veulent le remplacer.

    Le deuxième rappel est le fait que le marché est un rapport social et que, dans le cadre de la mondialisation, sa transformation ne se fera qu'au sein d'un nouvel équilibre, exigeant une convergence des résistances et des luttes à la même échelle. Il ne s'agit pas seulement d'utiliser de simples techniques économiques ou de gestion pour changer le système économique et ses prolongements sociaux, politiques et culturels. Il y a donc un volet d'actions sociales et politiques indispensable à la mise en route des alternatives.

    Enfin, troisième remarque, c'est un système qu'il faut changer (adapter ou remplacer, selon les perspectives) et la simple addition d'alternatives, aussi multiples soient-elles, ne suffira pas à atteindre cet objectif. Cependant, il existe une quantité de lieux et de nombreux acteurs, probablement beaucoup plus qu'il y a un demi siècle. Aujourd'hui, l'ensemble des populations de l'univers est impliquée directement ou indirectement dans les rapports sociaux du capitalisme: directement par le rapport capital/travail ou le salariat, indirectement par un grand nombre d'autres mécanismes, tels que la fixation des prix des produits agricoles d'exportation ou des matières premières, les mécanismes de la dette extérieure, l'ouverture des marchés, le flottement des monnaies ou la spéculation financière. En effet, comment expliquer, non seulement l'existence de plus de 20 millions de chômeurs en Asie de l'Est et du Sud-Est, suite aux crises bancaires et financières, mais aussi le fait que les dalits (intouchables), en Inde se révoltent dans des luttes de castes (et non de classes), précisément à partir du moment où le pays décrète l'ouverture de l'économie aux principes du libéralisme, incluant entre autres la suppression des subsides à l'alimentation de base, ou encore que la révolte des peuples indigènes du Chiapas au Mexique, coïncide avec la date de mise en oeuvre de l'ALENA, le traité de libre échange avec les États-Unis ? Comment comprendre la radicalisation sociale des mouvements féministes dans le Sud, sans la mettre en relation avec la féminisation de la pauvreté ? Et l'on pourrait multiplier les exemples.

    Ainsi, les alternatives concrètes (au pluriel) peuvent être considérées soit comme des gardes fous mis au système, sans que ce dernier ne soit contesté dans sa logique fondamentale, soit comme autant de jalons sur la voie du dépassement. Il est vrai que certaines des propositions concrètes peuvent parfois coïncider avec des différences d'intensité, mais parfois aussi se révéler presqu'identiques. La régulation des flux financiers internationaux est proposée aussi bien par George Soros, que par ATTAC, le mouvement d'origine française, en faveur de la taxe Tobin. Mais entre les deux pôles, représentés par le financier américain, d'une part et de l'autre, par l'initiative du Monde Diplomatique, il y a plus que des nuances. Les objectifs ultimes sont opposés. Le premier veut sauver le capitalisme et le déclare très ouvertement. Le second veut, au minimum, le dépasser, même s'il rassemble des courants divers.

    Pour aborder le problème des alternatives crédibles, il faut se situer à trois niveaux différents : celui de l'utopie, celui des objectifs à moyen terme et celui des mesures concrètes. Or, à ces trois échelons, nous voyons, aujourd'hui, poindre de nombreuses idées, propositions et expérimentations.


    1. Le niveau des utopies

    Rappelons, en parlant d'utopie, qu'il ne s'agit pas d'une illusion, mais d'un projet mobilisateur. Ce dernier ne peut être seulement une pure construction de l'esprit. Il doit s'enraciner dans le réel, sachant que ce dernier s'inscrit dans un espace et dans un temps qui forment un réseau de contraintes pour les acteurs sociaux qui le mettent en oeuvre. Nous ne parlerons pas ici de l'utopie néo-libérale qui, s'exprimant, entre autres, par la voix du premier directeur de l'OMC, voyait la fin de toutes les misères du monde et la réalisation du bonheur de l'humanité, dès le premier quart du XXIe siècle, à condition de libéraliser totalement l'économie. C'est précisément l'oubli, peut-être pas aussi innocent qu'il ne paraît à première vue, de considérer le marché comme un rapport social, qui rend cette position illusoire.

    Les deux orientations, néo-keynésienne et post-capitaliste, tout en refusant d'identifier l'utopie avec un futur mythique, se séparent assez radicalement au niveau de la définition de l'objectif ultime. La première conçoit un marché régulé, obéissant à des impératifs fixés en dehors de lui-même et garantis par des autorités publiques, position assez proche, par certains aspects, des néo-classiques désireux surtout recréer les conditions de la concurrence, ce qui permet peut-être de comprendre le rapprochement entre libéraux sociaux et socialistes de la Troisième voie.

    Par contre, pour le courant post-capitaliste, il s'agit de renverser la logique du capitalisme et donc d'établir de nouvelles règles du jeu économique: le remplacement de la notion de profit par celle de besoin; la prise en compte de la manière sociale de produire dans le processus de production et dans le développement des technologies; le contrôle démocratique, pas seulement du champ politique, mais également des activités économiques; la consommation comme moyen et non comme objectif; l'État comme organe technique et non comme instrument d'oppression, etc. C'est d'ailleurs en fonction de ces critères que les expériences du socialisme réel sont aujourd'hui jugées par ce courant, afin d'analyser ce qui n'a pas fonctionné et pourquoi?

    Le niveau des utopies doit se traduire en programmes; il faut donc faire un pas de plus. Comme nous l'avons déjà dit, les alternatives à moyen et à court terme, proposées par les deux courants qui n'approuvent pas la phase néo-libérale de l'accumulation capitaliste, se recouvrent assez souvent. Ce sont donc les lieux de convergence que nous allons surtout évoquer.


    2. Les alternatives à moyen terme

    En utilisant l'expression «à moyen terme», nous indiquons des objectifs généraux, que l'on estime atteignables, mais qui, ou bien doivent être traduits dans un grand nombre de propositions plus concrètes, reprises dans les alternatives à court terme et que l'on organise selon les possibilités, ou bien qui nécessitent un long combat, face aux forces d'opposition qu'ils rencontrent. Nous allons maintenant parcourir les deux champs d'application principaux: les alternatives économiques et leurs dimensions sociales d'une part et les alternatives politiques, de l'autre.


    a) Les alternatives économiques et leurs dimensions sociales

    Le premier objectif d'une alternative à moyen terme dans le champ économique est une autre modulation des échanges mondialisés. En effet, l'opposition à la mondialisation ne porte pas sur l'universalisation des transactions, mais bien sur la manière dont elles se réalisent dans le marché capitaliste. C'est cela qui a été exprimé à Seattle et à Bangkok. Certains secteurs des activités interhumaines doivent se situer en dehors de la logique marchande, sous peine de perdre leur sens. C'est le cas de la culture, de l'éducation ou des moyens de communication. L'ouverture des marchés doit procurer des marges de manoeuvre aux économies faibles. La libre circulation ne peut concerner uniquement les capitaux et les biens, mais doit aussi inclure les personnes. Les activités spéculatives dominant l'économie mondiale doivent être canalisées, sinon totalement éliminées, etc. Pour chacun de ces points des solutions sont proposées.

    Par ailleurs, la mondialisation actuelle, favorisant à la fois les intérêts économiques des nations les plus fortes et les entreprises transnationales en plein processus de concentration, les regroupements économiques régionaux constituent également une autre manière de se situer dans la «globalisation». Ces derniers correspondent, en effet, à deux perspectives alternatives: d'une part, ils pourront progressivement mieux répondre aux besoins des populations, en diversifiant les échanges internes et de l'autre, ils constituent une base plus solide de négociation dans une économie mondialisée, offrant ainsi un point de départ à une pluripolarité économique et politique future, face à l'unipolarité actuelle, celle de la Triade, Europe, Japon, États-Unis, sous l'hégémonisme de ces derniers.

    Pour modifier les rapports Nord-Sud, autre aspect de la mondialisation contemporaine, il s'agit de lever les obstacles au développement des économies dépendantes, en renversant l'orientation des flux financiers qui convergent vers les économies développées, conséquences de leur poids dans les rapports mondiaux. Ces obstacles sont constitués par la fluctuation des prix des matières premières et des produits agricoles, la concurrence des surplus agricoles, les sous-traitances et les zones franches, aux conditions fiscales et sociales draconiennes, l'importance du service de la dette, les exigences des investissements étrangers, les taux usuraires des placements à court terme (capitaux hirondelles), l'évasion des capitaux locaux vers des lieux de plus forte rentabilité, etc. Dans tous ces domaines, des solutions sont avancées et quelques-unes d'entre elles déjà partiellement appliquées ou soumises à la discussion.

    Enfin, toujours dans les matières directement liées à la mondialisation, la réduction du commerce des armes et son strict contrôle international, forment aussi un des objectifs à moyen terme des alternatives. Il en est de même des armes de destruction massive dont le contrôle de l'interdiction devrait faire l'objet d'un pouvoir réellement international et pas seulement dépendre de quelques nations qui dominent l'ordre mondial. Des projets existent dans ce sens et ils sont crédibles dans la mesure où une volonté politique peut être dégagée. Après la fin de la guerre froide, on a parlé de «dividendes de la paix». Cette notion, qui a connu un début d'exécution, pourrait être étendue.

    Comme les alternatives signifient une transformation ou un remplacement du capitalisme, aujourd'hui mondialisé, il ne suffit pas d'aborder la seule dimension spatiale, mais il faut aussi prendre en compte une logique qui actuellement s'exerce mondialement. Dans ce domaine le premier aspect est celui des limites mises à la logique marchande. Parmi ceux qui proposent des alternatives, personne ne pense à abolir le marché, car si ce dernier est un rapport social, il peut aussi se construire sur base d'une réciprocité véritable. À cet effet, le développement d'une économie sociale, même si le contexte actuel limite considérablement ses potentialités, ouvre la voie à bien des solutions, y compris à la propriété des moyens de production par l'ensemble des producteurs. Cela se traduit concrètement par les freins mis à la concentration des entreprises échappant, par ce biais, aux législations nationales ou encore par l'arrêt des privatisations tous azimuts et, sur un plan positif, par la remise en valeur des secteurs non-marchands, en tant que réelle contribution à «la richesse des nations». Tout cela fait l'objet des revendications concrètes de plusieurs mouvements sociaux.

    La réorganisation du processus de production et de distribution, qui connaît dans la phase néo-libérale actuelle, une étape de dérégulation considérable, en fonction du critère de rentabilité, est aussi une des alternatives à moyen terme. Elle concerne surtout quatre secteurs. Tout d'abord, la revalorisation du capital productif par rapport au capital financier, afin d'arrêter la décroissance relative du premier et de réduire le caractère spéculatif du second. Ensuite, une utilisation critique des technologies, pour éviter que la rentabilité ne soit l'unique critère de leur développement et de leur application, en réintroduisant d'autres paramètres, tels que le bien-être humain, la dignité des personnes, le respect de la nature.

    En troisième lieu, vient la redéfinition du travail, qui est certes profondément modifié par les nouvelles technologies, mais qui doit pouvoir être organisé en fonction d'autres paramètres que la compétitivité sauvage entre les entreprises (débouchant sur la flexibilisation du temps de travail, l'individualisation des travailleurs, le travail des enfants, la pression sur les coûts de la couverture sociale ou de la sécurité des lieux travail, etc.). Enfin, il faut citer le facteur écologique, dont les exigences sont de plus en plus reconnues. A court terme, il est possible que ce dernier élément soit le mieux à même de forcer l'adoption d'alternatives à la logique capitaliste, car il n'est pas possible de poursuivre le cours actuel des choses, caractérisé par l'exploitation des ressources non renouvelables et la destruction de l'environnement pour la simple obtention d'un profit à court terme.

    Sur un plan plus général, on peut dire que ces divers objectifs alternatifs vont dans le sens indiqué par Polanyi de réenclaver l'économie dans la société, en la soumettant aux impératifs sociaux et écologiques. Le sommet des Nations unies de Copenhague et celui de Rio (l'Agenda 21) montrent que cela n'est pas pure illusion, même si les résultats concrets sont encore bien décevants. Rappelons cependant que l'interprétation de ces objectifs alternatifs à moyen terme est différente dans les perspectives néo-keynésienne ou post-capitaliste et que cela peut aussi avoir une incidence sur les voies proposées pour leur réalisation.


    b) Les alternatives politiques

    Les alternatives économiques n'ont guère de chance de voir le jour sans des alternatives politiques. En effet, la mondialisation actuelle donne au système économique capitaliste une prédominance de pouvoir, c'est à dire une capacité énorme d'imposer ses normes au fonctionnement de la vie collective. Le contre-poids ne pourra être que politique, au sens large du mot. D'où, un certain nombre d'objectifs à moyen terme. Sur le plan mondial, il s'agit essentiellement de renforcer les organisations internationales et de les démocratiser. Cela concerne aussi bien le Conseil de Sécurité, dans son rôle de maintien de la paix, que les organisations spécialisées des Nations unies. Quant aux organisations nées de la conférence de Bretton Woods (Banque mondiale, FMI et, plus récemment, OMC) et devenues les instruments efficaces de l'application du Consensus de Washington, le retour à leur fonction originelle de régulation du système économique mondial, sur d'autres critères que la simple rentabilité du capital, est une des perspectives alternatives sérieusement envisagées. Tout cela va de pair avec la restauration de l'État dans son rôle de garant des objectifs sociaux et des préoccupations écologiques, avec le renforcement de son efficacité technique et l'accroissement du contrôle démocratique, à tous les échelons.

    La réalisation de ces objectifs alternatifs à moyen terme dépend, sur le plan international, de trois facteurs essentiels : une convergence des résistances au capitalisme et des luttes sociales à tous les niveaux; une volonté politique de la part des États et le développement du Droit international. On peut même affirmer que c'est la dynamique de ces trois facteurs qui commandera la possibilité de réalisation des alternatives.

    Dans le premier cas, l'établissement de réseaux de mouvements sociaux et l'organisation d'actions communes sont en cours de réalisation. En 1999, des événements symboliques ont mis en lumière leur existence, par exemple, l'Autre Davos, qui a réuni 5 mouvements sociaux importants des 5 continents, pour affirmer qu'il existe une autre manière de concevoir l'économie mondiale que celle du marché ou l'action commune, menée à Seattle, entre les syndicats ouvriers, notamment américains et d'autres mouvements sociaux de plusieurs catégories et de diverses régions du monde.

    Certaines initiatives au niveau des États, notamment sur un plan régional, manifestent une volonté politique de trouver des alternatives, par exemple le Merco-Sur ou l'ASEAN, qui développent des projets économiques, nettement en retrait vis-à-vis de l'établissement de zones de libre-échange entre les pays de la région et les Etats-Unis. Enfin, sur le plan du Droit international, il faut signaler de nombreuses initiatives dans le domaine des Droits humains ou du Droit des Peuples vis-à-vis du Droit des affaires, entre autres, les initiatives du Tribunal permanent des Peuples ou de la Ligue internationale pour les Droits des Peuples.


    3. Les alternatives à court terme

    Pour que l'on puisse parler d'alternatives crédibles, il faut non seulement se fixer un but ultime et formuler des objectifs à moyen terme, mais aussi faire des propositions à court terme, qui peuvent constituer la base d'actions revendicatrices et de programmes politiques.

    Il serait impossible d'en dresser un catalogue, mais il suffit de donner quelques exemples, prouvant que la possibilité de créer des alternatives existe.

    La plupart se situent dans le domaine des régulations, mais elles s'inscrivent comme des étapes d'un processus à plus long terme, soit pour humaniser le rapport social capitaliste, soit pour le transformer. On peut les classer en divers champs.


    S Régulations économiques : taxation des opérations financières internationales (taxe Tobin); fiscalité régionale et internationale; suppression des paradis fiscaux; annulation de la dette des pays pauvres; regroupements régionaux sous forme de marchés communs ou zones de coopération économique; restructuration des institutions financières internationales, etc.

    S Régulations écologiques : protection des ressources non renouvelables; protection des richesses biologiques; établissement de règles internationales sur la pollution; mise en application de l'Agenda 21, etc.

    S Régulations sociales : législation internationale du travail; codes de conduite des investissements internationaux; participation des organismes représentatifs des travailleurs dans les instances régionales et internationales, etc.

    S Régulations politiques : constitution de pouvoirs régionaux avec compétence régulatrice en matières économique et sociale; réorganisation des organes des Nations unies; gestion mondiale du patrimoine écologique et culturel; parlement mondial, etc.

    S Régulations culturelles : protection des productions culturelles nationales ou locales.

    En conclusion, les alternatives existent. Qu'elles soient crédibles ne fait aucun doute. En fin de compte, leur réalisation est liée à la volonté de les mettre en oeuvre. A ce moment la crédibilité ne se pose plus au niveau des alternatives, mais bien à celui de l'agir collectif. Existe-t-il des formes sociales capables de porter les projets alternatifs à court et moyen terme. Existe-t-il une volonté politique de les réaliser? C'est un autre débat, qu'il serait bon d'ouvrir rapidement.

    Bibliographie

    S AMIN S., L'hégémonhisme américain face au projet européen, Paris, L'Harmattan, 2000.

    S HOLSBAWN E.J., L'âge des extrêmes, Histoire du court XXème Siècle, Bruxelles, Complexe, Paris, Le Monde diplomatique, 1999.

    S GEMDEV, Mondialisation - Les mots et les choses, Paris, Karthala, 1999.

    S HOUTART F. et POLET F., L'Autre Davos; mondialisation des résistances et des luttes, Paris, L'Harmattan, 1999.

    S POLANYI K, et AREMBERG C. Les systèmes économiques dans l'histoire et la théorie, Paris, Larousse, 1975.

    S REICH, R., L'économie mondialisée, Paris, Dunod, 1993.

    S SEVE L. Commencer par les fins, la nouvelle question communiste, Paris, La Dispute, 1999

    S SOROS G.,La crise du capitalisme ou l'intégrisme des marché, Paris


    pris sur le site du forum social mondial:http://www.fsmmali.org/


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  • Les mouvements de lutte contre la mondialisation libérale après le 11 septembre 2001

    Par Christophe Aguiton

    Le mouvement mondial qui s'est exprimé de Seattle à Gênes avait comme adversaire symbolique Wall Street, qui représentait la puissance des marchés financiers, mais aussi le pentagone, figure de la domination impériale et du militarisme américain. Avec un sinistre parallélisme, ce sont ces cibles qui ont été visées, là de façon bien réelle, par les auteurs des attentats meurtriers de Washington et de New York. Cette relation na évidemment aucun sens pour ceux qui, engagés dans le mouvement contre la mondialisation libérale, savent bien que la force de ce mouvement et sa capacité à transformer le monde dépendent avant tout de son caractère massif, du soutien des opinions publiques et de lengagement démocratique des mouvements sociaux qui lui donnent sa base et ses racines. Un mouvement particulièrement important aux Etats-Unis même, où les syndicats et ONG préparaient une manifestation très large pour le 30 septembre à Washington, au moment de lassemblée générale du FMI et de la Banque mondiale. Mais cette relation est utilisée par ceux qui cherchent tous les arguments possibles pour défendre la mondialisation libérale et le système actuel.

    Plus encore que le signe dune évidente mauvaise foi, cest ne pas voir, quau contraire, il y a dans le mouvement de lutte contre la mondialisation libérale des éléments de réponses à de telles atrocités.

    L'insurrection zapatiste du Chiapas, le 1er janvier 1994 est probablement lévénement fondateur du mouvement qui a fait irruption sur la scène mondiale à partir de Seattle. Et la force du zapatisme a été de défendre l'identité et les revendications spécifiques des indiens du Chiapas en même temps qu'il lançait un appel universel contre le libéralisme et pour la création d'un mouvement mondial qui sest concrétisé dans la première rencontre "intergalactique" de lété 1996. Cette capacité à défendre les identités et les spécificités des mouvements tout en développant des alternatives au niveau mondial est une des caractéristiques essentielles du mouvement qui se construit, de Seattle à Gênes.

    Dans son extension à tous les continents, ce mouvement offre une réponse internationaliste à tous ceux qui se révoltent et luttent contre un système qui aggrave les inégalités et les exclusions. Cela a été le cas à Porto Alegre pour tous les mouvements de défense des peuples indigènes en Amérique Latine. À Gênes, la présence d'une délégation de 50 représentants de syndicats et de mouvements russes et ukrainiens leur a permis de tisser de nombreux contacts et d'envisager l'insertion régulière des militants russes dans le "mouvement mondial". Et la mobilisation contre le nouveau cycle de négociations dans le cadre de l'OMC qui doit souvrir à Qatar est aussi loccasion de se lier aux mouvements qui existent dans le monde arabe, et cela grâce à des conférences et des initiatives prises au Caire et à Beyrouth. Le développement du mouvement sur le plan mondial, comme celui des luttes sociales et démocratiques, permet d'offrir un autre cadre de réponses que les replis nationalistes, intégristes ou réactionnaires. Ainsi, en France, le développement des luttes, dans les années 1990, a précipité la crise et le déclin du Front National qui s'appuyait sur les couches populaires frappées par la crise économique.

    Les attentats du 11 septembre ne peuvent que renforcer notre conviction de l'importance et de l'urgence de développer ce mouvement mondial, démocratique et non violent, qui est seul à pouvoir porter des alternatives globales à la mondialisation libérale. Mais ces attentats devraient être aussi, pour les gouvernements des grandes puissances, et d'abord celui des Etats-Unis, comme pour les institutions internationales, l'occasion dune remise en cause des politiques menées depuis des décennies. Nous verrons dans les semaines et les mois qui viennent ce que sera la politique américaine, mais les premières déclarations de George Bush, la "lutte du bien contre le mal" ou, à propos de Ben Laden, "nous le voulons mort ou vif", rappellent la guerre froide. L'hypothèse la plus probable est celle de l'option militariste et répressive. Une nouveauté dans la situation : au-delà même des alliances jugées nécessaires par les Etats-Unis dans leur lutte contre le terrorisme, la poursuite de la mondialisation rend difficile les stigmatisations nationales ou culturelles. Plus que le choc des civilisations que pronostiquait Samuel P. Huntington(1), la "guerre" qu'entendent mener les dirigeants américains risque bien dêtre une guerre civile.Le terrorisme sera la première cible, mais, dans cette nouvelle croisade, les "ennemis de l'intérieur" - forces radicales, mouvements sociaux et mouvements de lutte contre la mondialisation libérale - pourraient être rapidement mis en accusation en même temps que des mesures de restriction des libertés seront mises en oeuvre.

    Une telle orientation peut être la source de nouvelles contradictions entre grands pays, et en cela la situation est différente de celle qui prévalait lors de la guerre du Golfe. En Europe, plusieurs responsables gouvernementaux ont fait entendre une voix un peu différente. Après l'expression de leur solidarité avec le peuple américain, ils ont insisté sur les réponses à apporter sur le fond des problèmes politiques, en particulier au Moyen-Orient, et sur la nécessité de régulations au niveau mondial. Cette volonté d'autonomie européenne est confortée par le résultat de deux conférences internationales. Celle de Bonn, où le protocole de Kyoto a été signé par de très nombreux pays, dont l'Europe, mais sans les Etats-Unis. Et celle de l'ONU à Durban où, sur le racisme, une résolution a été adoptée avec le soutien des Européens, alors que les Etats-Unis avaient quitté la réunion. Ces contradictions pourraient ouvrir des espaces aux mouvements, comme cela a été le cas pour l'AMI ou l'assemblée générale de l'OMC à Seattle. Cette question va cependant rester ouverte, les pressions étant fortes pour la poursuite d'une solidarité occidentale. Le prochain cycle de négociations sur le commerce qui devrait s'ouvrir à Qatar le 9 novembre, dans le cadre de l'OMC, pourrait permettre une mobilisation internationale qui change la donne au niveau mondial.

    C'est malgré tout dans un contexte plus grave et plus difficile que les mobilisations vont se développer et que les mouvements de lutte contre la mondialisation libérale vont se construire. Une situation qui exigera de ces mouvements une plus grande attention pour les problèmes démocratiques et pour la question de la paix et de la sécurité pour les peuples : pour les populations du sud, à l'accroissement des inégalités s'ajoute aujourd'hui la crainte des interventions militaires, quelles viennent des puissances occidentales ou des gouvernements locaux qui utilisent la conjoncture pour régler des conflits qui restaient parfois latents. Mais c'est dans cette "autre mondialisation" que réside l'espoir de d'un monde plus juste et plus sûr pour tous les peuples de la planète.


    Paris, le 20 septembre 2001

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     La Confédération syndicale internationale est créée aujourd'hui à Vienne pour lutter notamment contre les méfaits de la mondialisation.


    Par Sonya FAURE

     

    Ils seront 166 millions d'adhérents, partout dans le monde. Et ça, est-ce que ça fera enfin le poids ? Une nouvelle internationale naît aujourd'hui, à Vienne : la CSI, Confédération syndicale internationale, qui regroupe 309 syndicats de 156 pays. Pour contrer les méfaits de la mondialisation, ses délocalisations, pour soutenir les militants bafoués dans des dizaines d'Etats-voyous. C'est la première fois en un siècle qu'un syndicat mondial réunit si large. La Confédération internationale des syndicats libres (CISL, réformiste) et la Confédération mondiale du travail (CMT, chrétienne) se sabordent et fusionnent dans la CSI. Huit autres syndicats nationaux sans affiliation mondiale, comme la CGT française, ont décidé de les y rejoindre. La CSI n'est pourtant pas parvenue à réunir les trois courants du syndicalisme, déchirés depuis les années 20 : réformiste, chrétien et communiste. L'héritière de ce dernier, la Fédération syndicale mondiale (FSM), a refusé d'y participer, reprochant à la CISL «ses compromis et concessions». Vendredi, l'Anglais Guy Ryder, secrétaire général de la CISL, devrait être élu à la tête de la nouvelle confédération.

    Dégâts. Pour la première fois de leur histoire, la CGT, la CFDT, FO et la CFTC sont donc réunies dans une même organisation mondiale. «Depuis 1994, nous n'étions adhérents à aucune d'entre elles. Et pendant ce temps, la mondialisation, elle, a progressé, élargi ses dégâts, mis en concurrence les salariés, délocalisé, rapporte Guy Juquel, responsable de l'international à la CGT. La nouvelle internationale n'est pas la simple fusion de deux grosses confédérations existantes. C'est un outil pour promouvoir un nouveau syndicalisme mondial. Reconnaissons-le, jusqu'à présent, nous n'avons pas été très efficaces.» Les principes de la CSI sont déclinés dans un document d'orientation : «Le travail humain a une valeur supérieure au capital.» Ou encore : «Changer la mondialisation afin qu'elle fonctionne en faveur des travailleurs, des sans-emploi et des pauvres.» Et enfin : «Développer un syndicalisme de transformation sociale.» Lecture cégétiste : «On quitte la culture de pur lobbying auprès des instances internationales, pour un syndicalisme plus combatif, plus revendicatif.» 



     


    Premier objectif de la CSI : organiser une journée d'action mondiale pour la défense des droits syndicaux. Puis, plus difficile : faire le poids face aux multinationales. «On tente d'organiser une mobilisation à Moscou, pour contraindre Carrefour à cesser de faire obstacle à la mise en place de syndicats dans sa filiale russe», témoigne Guy Juquel. Faire masse, parler d'une seule voix. «Nous ne devrons pas rester dans une posture de dénonciation. Mais faire appliquer les normes internationales dans tous les pays. C'est le premier pas contre le dumping social, qui concerne les travailleurs des pays en développement comme ceux des plus riches», analyse Anousheh Karvar, chargée des questions internationales à la CFDT.


     


    Adhésions. Il faudra à la CSI soutenir les militants des pays à vieilles traditions syndicales, où les adhésions s'effritent. Aux Etats-Unis, le taux de syndicalisation a chuté de moitié en une quinzaine d'années. Il lui faudra aussi venir en aide aux syndicalistes des Etats autoritaires, où la répression ne cesse de s'étendre et où certains paient leur engagement de leur vie.

     




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  • L'altermondialisation désigne un mouvement de la société civile qui conteste le modèle libéral de la mondialisation et revendique un mode de développement plus soucieux de l'homme et de l'environnement alors que l'altermondialisme est l'ensemble des conceptions défendues par des partisans de l'altermondialisation.



    L'altermondialisation (ou mouvement altermondialiste) est un mouvement social hétérogène revendiquant qu'un ensemble de valeurs humanistes prenne le pas sur ce qu'il analyse comme les «logiques économiques de la mondialisation néolibérale». On peut citer des prises de position et des revendications communes à de nombreuses organisations concernant :




    la justice économique[1]


    l'autonomie des peuples[2]


    la protection de l'environnement[3]


    les droits humains fondamentaux[4]


    des revendications de démocratie selon les différentes orientations politiques[5].


    Ces thèmes se retrouvent dans des textes de diverses organisations du mouvement altermondialiste : plate-forme proposée par ATTAC, manifestes ou rapports élaborés durant les forums sociaux mondiaux, dont le manifeste de Porto Alegre, des textes de l'ONU de déclarations de droit et d'autonomie dont les altermondialistes "réformateurs" veulent l'application concrète[6] (voir aussi le chapitre Propositions).


    Le préfixe alter fut introduit, initialement en Belgique, pour se différencier du terme d'antimondialisation, appellation qui recouvre une vision assez différente , la confusion entre les 2 termes subsiste dans d'autres langues que le français, dans le monde anglophone le terme fait l'objet d'une certaine utilisation. Pour certains le terme serait une variante francophone de antimondialisation.


    Politiquement, le mouvement oscille entre un réformisme (par exemple à travers la revendication d'une Taxe Tobin[8] par Attac) et un « imaginaire de la rupture », mais se rassemble autour du slogan « Un autre monde est possible ».[9]


    Il consiste en :



    • une contestation de l'organisation interne, du statut et des politiques des institutions mondiales telles que l'OMC, le FMI, l'OCDE, le G8 et la Banque mondiale.

    • une recherche d'alternatives, globales et systémiques, à l'ordre international de la finance et du commerce.



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